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Coups de coeurs

"Assemblage" de Natasha Brown

10 octobre 2023

Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : BROWassemblage

Avec "Assemblage", Natasha Brown désosse le racisme ordinaire en Angleterre

Tout. Elle a absolument tout. Un poste dans la finance. Une promotion. De l’argent. Un bel appartement. « Je suis tout ce qu’on m’a dit de devenir », résume la narratrice. Pourtant, jamais l’appréhension ne la quitte, la peur de tout perdre : « Un rien pourrait s’avérer la ruine de tout. » Et elle-même pourrait s’effondrer comme un château de cartes, se déliter, se défaire en un claquement de doigts, puisqu’elle vit avec l’intime sensation de n’être qu’un assemblage fragile, constitué de projections et d’injonctions contradictoires : « Sois la meilleure. […] Mais aussi, sois invisible, imperceptible. »

Dans son entreprise, elle incarne la « diversité » ; dans les regards concupiscents, l’exotisme. Pour les conservateurs qui s’étonnent qu’elle « parle si bien », elle prouve que la Grande-Bretagne, qui permet de telles réussites, est un grand pays. Parfois, elle est juste une « n**esse » qu’on insulte dans la rue, ou une femme qu’un steward n’imagine pas voyager en business.

Identité en pièces détachées

Quoi qu’elle fasse, elle est toujours l’autre. Une étrangère : « Née d’ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant, jamais d’ici. Leur culture devient une parodie sur mon corps à moi. » Un corps noir que la société britannique rejette plus ou moins violemment. Même la riche famille de son petit ami, si accueillante, ne fait que la tolérer. Etre invitée chez eux, dans leur belle maison de campagne, devrait constituer « le sommet narratif dans le récit de [son] ascension sociale ».

Ce sera au contraire l’occasion de faire voler ce récit en éclats, à l’image de ce qu’opère l’Anglaise Natasha Brown sur son texte, fragmenté en un agencement de bribes laconiques et coupantes, reflets d’une identité en pièces détachées, morcelée, abîmée par un racisme qui s’insinue dans chaque pli de son existence. C’est avec une écriture presque décomposée, une langue autre puisque le langage lui-même la déprécie, qu’elle dit la lassitude et la colère contenue. Jusqu’au trop-plein. Un premier roman foudroyant. Elisabeth Philippe

Nouvel Observateur, 17.01.2023