Coups de coeurs
"Kerozene" d'Adeline Dieudonné
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : DIEU
A quoi carbure Adeline Dieudonné? Trois ans après "La Vraie Vie", premier roman coup-de-poing au succès fulgurant, la romancière belge embraye sur de nouveaux personnages aux destins accidentés. Réunis par les hasards de l'existence dans une station-service des Ardennes, les quinze protagonistes de ce récit fragmenté ont tous un crime à expier et un traumatisme à purger.
Dans "Kerozene", roman choral aux allures de faux polar, les histoires des unes et des autres se frôlent, s'entrecroisent parfois, comme autant de pièces d'un puzzle aux motifs tapageurs. Il y a Chelly, prof de pole-dance et influenceuse, dont le caractère prédateur prend appui sur son darwinisme néolibéral: "Elle se voyait comme un animal évoluant dans un écosystème soumis à la loi du plus fort."
Il y a Alika, employée de maison philippine dont la soumission à ses maîtres lui a été enseignée de longue date. Il y a Loïc, membre des "Pirates de la drague", un groupe d'hommes partageant bons plans et succès pour parfaire le "game" de la séduction lourdingue. Il y en a bien d'autres, et même un cheval, Red Apple, qui prend la parole à la première personne pour conter son destin d'animal résilient.
A travers tous ces personnages et ces saynètes trash, Adeline Dieudonné éprouve jusqu'à l'absurde la logique abominable d'un vieux monde qui s'accroche: masculinité toxique, rapports de domination, prédation sur la nature et le monde animal, férocité du monde économique. Dans l'esprit d'un film de Caro et Jeunet, l'animalité du corps humain s'exprime avec tout ce qu'elle peut avoir de plus repoussant: odeurs, déjections, pulsions violentes, sexe brutal, le regard d'éthologue de l'autrice belge fait mouche. Et l'humour, salvateur, n'est jamais loin quand il s'agit de pointer de la plume le grotesque de nos vies modernes.