L’auteur de “Nos plus beaux souvenirs” signe un portrait subtil et émouvant des teenagers américain·es et de la violence à l’œuvre dans leurs relations.
Dans la banlieue de Rhode Island, il y a plusieurs années, une adolescente a participé à l’assassinat d’une camarade de lycée. À partir de ce fait, annoncé dès la première phrase du livre, Stewart O’Nan construit un thriller maîtrisé, reconstituant le faisceau de circonstances qui ont conduit au drame, tout en travaillant principalement sur ce qui n’est pas dit.
Car sa description d’une communauté de teenagers apparemment sans histoires met en évidence les fractures qui la travaillent en souterrain. Il y a les riches, certain·es de rejoindre une université prestigieuse ; les pauvres, qui ont un job après les cours au lycée. Il y a celles qui sont blondes et minces et celles qui ont la peau mate et parlent une autre langue que l’anglais à la maison.
Il y a les petits détails que l’auteur dépose au cours de son récit, l’imprimerie où travaillaient les grands-parents, fermée depuis longtemps, les maisons abandonnées qui peu à peu s’affaissent. Il y a les rituels, notamment la place du sport et de la compétition dans ces jeunes vies, mais aussi celle de l’Église. O’Nan met en évidence la violence pesant sur les filles, qui croulent sous les injonctions, doivent se battre pour tenir leur rang et paraître toujours au top.
Et au milieu il y a Angel, la petite amie officielle de Myles depuis trois ans. Lequel, apprend-elle, a une histoire avec Beatriz Alves, que tout le monde appelle Birdy. O’Nan décrit la lutte sans merci que va livrer Angel pour conserver Myles, et surtout montrer à tout le lycée que c’est elle la gagnante. Et une banale histoire d’amour déçu prend des proportions invraisemblables. De leur côté, les parents gèrent le meurtre comme une péripétie qu’on règle avec de l’argent et en étant suffisamment informé·es, avec des transactions entre avocats autour d’un plaider-coupable présenté à Angel comme le choix d’une banale orientation scolaire.
Mais comme souvent chez l’auteur de Nos plus beaux souvenirs (2005), tout est baigné d’une poignante mélancolie. Car une partie du récit est prise en charge par Marie. C’est la petite sœur d’Angel ; elle avait 13 ans à l’époque et personne ne faisait attention à elle. Des années plus tard, elle semble être la seule dans la famille à ne pas s’être relevée de cette histoire. Sylvie Tanette, 30.10.2025, Les Inrockuptibles